Transition écologique : « Besoin d’un récit commun »

Transition écologique : « Besoin d’un récit commun »

L’année Laudato Si’ (du nom de l’encyclique publiée en 2015) initiée par le pape François en 2020 se termine bientôt. Elle invitait « toutes les personnes de bonne volonté à prendre soin de notre Maison commune », à penser « le monde d’après ». L’occasion pour le Pape de rappeler l’urgence d’une conversion écologique intégrale. Conscient de l’impact que cela peut avoir sur l’ensemble de la population, et en particulier sur les jeunes générations, le BICE a souhaité aborder cette question avec un spécialiste, Christophe Goupil, professeur à l’Université de Paris et conseiller scientifique du Campus de la Transition*.

Pourriez-vous expliquer en quelques mots ce qu’on entend par transition écologique ?
La transition écologique consiste à passer d’une modèle économique et social marqué par des orientations insoutenables à un nouveau modèle qui nous permette de relever les défis énergétiques, climatiques, environnementaux et sociétaux contemporains. Au cœur de cette transition, la sauvegarde de la planète qui passe par la diminution de notre empreinte écologique, la justice sociale, l’équité…

Les dérèglements climatiques risquent-ils de mettre à mal l’effectivité des droits de l’enfant ?
Parmi les conséquences du réchauffement de la planète, il y a la perte de biodiversité, mais aussi la dégradation des terres cultivées*. Cette détérioration met en péril la sécurité alimentaire en de nombreuses régions du monde, avec les effets dévastateurs sur la santé que cela peut avoir. Cela ne pourra qu’engendrer à terme d’importants mouvements de population. Ces migrations « climatiques » liées à la faim arriveront avant celles liées à la hausse du niveau des mers. Autant de situations difficiles dans lesquelles les plus vulnérables sont les premières victimes. Et parmi les plus vulnérables, il y a les enfants.

Autre marqueur du changement climatique : les événements climatiques extrêmes (ouragans, cyclones, fortes pluies, sécheresses…) qui frappent de plus en plus souvent. Et dont les conséquences sur les populations sont dramatiques. Malheureusement, dans ces contextes, les droits de l’enfant sont souvent loin d’être une priorité.

Trois millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies liées à l’environnement (maladies diarrhéiques, paludisme et malnutrition). Ce chiffre risque donc d’augmenter si l’on n’agit pas ?
Oui. En plus de l’insécurité alimentaire dont nous venons de parler, d’autres phénomènes sont à prévoir. Parmi eux, par exemple, le fait qu’avec l’augmentation de la température, les moustiques remontent en altitude comme en latitude dans des zones où ils ne vivaient pas auparavant. Cela a des conséquences sur l’extension géographique de maladies infectieuses telles que le paludisme ou la dengue.

Comment chacun peut-il agir pour mener cette transition écologique ?
Il y a plusieurs niveaux d’actions. Le premier concerne ce qu’on appelle « les petits gestes ». Réfléchir à ce que l’on achète, limiter les emballages, prendre les transports en commun plutôt que la voiture… Cela ne représente pas grand-chose au niveau du volume, mais c’est essentiel. La cellule familiale participe alors à former les jeunes générations, à faire évoluer les mentalités. Au niveau individuel, le 2e échelon est le vote. Nous devons être plus exigeants vis à vis des politiques, et notamment des hommes politiques nationaux qui sont, pour la plupart, moins conscients de l’urgence d’agir que les citoyens.

Quel rôle les jeunes générations jouent-elles dans la transition écologique ?
Elles jouent un rôle essentiel. On assiste d’ailleurs à un renversement des générations car ce sont les 20-25 ans qui se montrent les plus responsables sur le sujet. Ce sont eux qui portent très fortement les mouvements en faveur de la transition écologique et sociale. En témoigne, par exemple, le manifeste étudiant pour un réveil écologique qui a réuni plus de 30 000 signatures en 2018. Il faut les écouter, les soutenir, les aider à se structurer.

Est-ce parce qu’ils ont été sensibilisés plus jeunes ?
Je ne crois pas, non. Les 20-25 ans n’ont pas particulièrement été formés à cette problématique. Leur engagement résulte davantage du fait qu’on leur a promis un monde qui n’est plus tenable aujourd’hui, un monde auquel ils n’auront jamais accès.

En revanche, je pense qu’il est absolument nécessaire d’informer et de former les moins de 20 ans aux questions environnementales, à la transition écologique. Il faut qu’ils puissent développer leur esprit critique en se basant sur des éléments tangibles. La formation est en effet l’une des actions à développer pour favoriser la transition écologique, pour faire accepter les efforts importants que nous allons devoir mener pour y arriver.

Cela implique un changement de modes de vie ?
Oui. Nécessairement. Actuellement, si l’on considère les animaux de plus de 2 kg, la faune sauvage ne représente que 6%, l’élevage 94%. Est-ce que l’on peut continuer comme ça, sans réfléchir ? Non. Au regard de la situation – qui n’est pas simplement grave, mais d’une gravité extrême – ce n’est pas 20% ou 30% d’économie d’énergie que nous devons faire chacun mais 10 fois plus. Il faut se mettre en route. L’ampleur de la tâche est immense ; nos priorités doivent changer. Nous devons par exemple accepter de consommer moins, mieux… Et aussi réapprendre à prendre le temps, à ralentir, à sortir de l’immédiateté. Je pense que c’est possible, si on y va tous ensemble.

Cela veut dire décroissance ?
Forcément, puisqu’en arrêtant d’utiliser les énergies fossiles, nous allons devoir consommer moins d’énergies, ce qui implique moins de croissance. En revanche, il est dangereux de ne penser qu’en termes de décroissance. La transition écologique nécessite des investissements. Par exemple, il y a 12% de foyers en précarité énergétique en France***. Il faut rénover ces logements afin d’économiser sur le plan énergétique. Mais c’est aussi une question de santé publique.

Quel modèle économique prônez-vous pour cette transition ?
La planète est un village commun. On ne peut plus faire comme si nos actes n’ont aucune répercussion sur les autres. Tout est interdépendant. Selon moi, la seule possibilité pour que la transition écologique fonctionne est la mise en place d’une gouvernance mondiale autour d’un récit commun.

Il est essentiel que chacun mette son savoir, ses compétences au service de la planète… Au service du bien commun. Cela passe par le développement de la démocratie participative, le soutien aux initiatives citoyennes, la valorisation de projets à différentes échelles. Un exemple : l’éolien ou le photovoltaïque ne représente pas une solution énergétique au niveau national. En revanche, à l’échelle d’une communauté de communes, cela peut fonctionner.

Le Pape appelle aussi à une gouvernance mondiale…
Je suis parfaitement en phase avec les deux encycliques Laudato si’ et Fratelli Tutti, dans lesquelles le Pape appelle à la construction d’un avenir plus juste et plus durable pour la Terre et l’humanité. Il prône pour cela la mise en place d’une gouvernance mondiale ; il fustige également les excès de la finance mondiale. Le pape François a un courage incroyable et une très grande audace.

Source: https://bice.org/

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