Les mondes de l’écologie
Alors que nous sommes pris dans l’alternative entre la mondialisation libérale – qui renforce la pression du capital sur les humains et les ressources naturelles – et le repli nationaliste et xénophobe, le projet associant nature et humanité est aujourd’hui le seul qui fasse monde, durablement, c’est-à-dire qui le voit comme tel, dans sa globalité, sa fragilité et son unicité. En effet, il n’existe pas de planète B pour l’humanité, qui doit se penser désormais comme une espèce parmi d’autres, prise dans un réseau d’interdépendances avec son environnement.
C’est ainsi à un approfondissement et à une extension de la solidarité que nous appelle l’écologie politique : il s’agit de reconnaître la solidarité entre les pays riches du Nord, émetteurs historiques de gaz à effet de serre, et les pays pauvres du Sud, vulnérables aux dérèglements climatiques ; entre les riches et les pauvres de l’ensemble des nations, tous affectés par la crise environnementale, même s’ils le sont de manières différentes ; et entre les humains et les non-humains, qui vivent dans un écosystème partagé.
Le discours scientifique alerte les citoyens sur les menaces que les modes de production, de consommation et d’échange font peser sur l’environnement et sur l’urgence d’une action de transformation radicale [1]. Les effets du dérèglement climatique sont aussi de plus en plus visibles : la montée des eaux, la perte de biodiversité, les migrations sont autant de phénomènes qui nous rappellent l’urgence d’agir et de penser autrement. Mais la prise de conscience est lente, différente selon les régions et les secteurs, empêchée aussi par des résistances qui mêlent la préférence pour le court terme au poids des habitudes. Les responsabilités dans cette course de lenteur sont partagées, et chacun peut mesurer l’écart entre le désir de changer et les étapes d’une transformation qui concerne l’intime de notre rapport au monde autant que le modèle économique et social.
Le laboratoire écologique est d’abord dans la société ; des citoyens se mobilisent, changent leurs comportements et explorent des modes de vie alternatifs. Des entreprises accompagnent ou même anticipent cette évolution ; d’autres la combattent. À l’échelon européen, individus et lobbies industriels s’affrontent sur des sujets liant la santé et l’environnement, comme les perturbateurs endocriniens ou le glyphosate. Sur l’écologie, il y a toujours plusieurs fronts, plusieurs agendas, plusieurs mondes. L’expertise technique côtoie l’innovation sociale, les combats des sans-terre indiens se font entendre jusque dans nos grandes villes, la cause animale bouscule les certitudes. Le pape, les activistes et les chefs d’État se rejoignent dans la mobilisation pour le climat, qui associe aussi plusieurs générations et permet de porter un nouvel idéal de justice.
L’écologie politique, souvent opposée à l’écologie scientifique, existe-t-elle ? Comment en comprendre les limites dans le champ du pouvoir, malgré sa progression dans la société et le poids des observations scientifiques ? Comment situer l’action de l’État, qui reste aujourd’hui un échelon déterminant pour réussir, mais où se concentrent les blocages ? Comment se mettre enfin sur le chemin de l’action ? Telles sont quelques-unes des questions abordées dans ce dossier, qui évoque aussi bien la situation française que celle qui existe ailleurs dans le monde, en Chine, en Pologne, qui donne la parole aux acteurs politiques comme aux philosophes, aux scientifiques ou aux militants du climat. Avec un objectif assumé, celui de créer des ponts entre ces différentes expressions écologiques toutes légitimes, mais dont il reste à construire les complémentarités. Des sciences à la politique, en passant par l’économie, le développement des territoires ou les arts et la littérature, il s’agit de tirer profit de ce chatoiement et de cette diversité pour aller plus loin sur la voie d’un monde écologique.
Notes
[1] Au sujet de la réflexion des sciences humaines sur l’anthropocène, voir le dossier « Habiter la Terre autrement », Esprit, décembre 2015. Voir aussi le dossier « Retour sur Terre, retour à nos limites », Esprit, décembre 2009.
Par Jonathan Chalier, Lucile Schmid
Dans Esprit 2018/1-2 (Janvier-Février), pages 31 à 33
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/01/2018
https://doi.org/10.3917/espri.1801.0031
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